Par Marianne Léger

À la trentaine, Donel Saint-Juste a déjà réussi ce que beaucoup considèrent comme un pari fou : créer une maison d’édition indépendante, Éditions Milot, qui s’impose aujourd’hui comme l’un des foyers les plus dynamiques de la littérature francophone.
Né en Haïti, Donel grandit dans un environnement où la parole et les récits occupent une place essentielle. « J’ai été élevé dans une maison où l’on racontait beaucoup, où chaque histoire comptait. Il y a ma grand-mère, potomitan de la famille, la bibliothèque privée de mon oncle et les récits de Maurice Sixto », se souvient-il.
Mais au fil de ses études et de ses voyages, il constate une fracture : trop souvent, les écrivains caribéens ou africains restent cantonnés à la périphérie du champ littéraire. « J’ai compris qu’il fallait créer un espace où ces voix seraient entendues autrement, non comme “exotiques” mais comme universelles. » En 2021, il fonde à Paris Éditions Milot. Puis, deux ans plus tard, il ouvre en Haïti une filiale, Éditions Varella.
Une manière de tenir ensemble ses deux mondes, et d’incarner cette circulation permanente qui définit sa vision avec une ligne éditoriale claire : publier les textes qui importent, pas seulement ceux qui se vendent. Dans ses catalogues, on trouve des auteurs aux horizons multiples, de la Franco-Italienne Mélanie Lusetti, Prix René Depestre 2023, au Béninois Seth Moché, finaliste du Prix Fetkann – Maryse Condé 2024, en passant par l’Haïtien Max Lubin, remarqué au Prix Cheikh Hamidou Kane 2022, les Belges, Rayane Bensaghir et Pascal Lefèvre, la Franco-Allemande, Isabel Natacha Weiss, la Martiniquaise, Marie-Pierre Loiseau, le Sénégalais, Philigence Faye, les haïtiens, André Fouad, Emmanuel Vilsaint et John Wesley Delva. Chaque livre porte une part de risque, mais aussi une volonté : offrir au lecteur une expérience singulière. « La littérature n’a pas vocation à conforter, elle doit bousculer, déranger parfois. C’est là qu’elle devient essentielle », insiste Donel. Entre papier, numérique… et voix Visionnaire, il n’hésite pas à explorer de nouveaux terrains.
Mais Donel ne s’arrête pas là. le 30 août dernier, il a inauguré VOX AYITI STUDIO en région parisienne à Épinay-sur-Seine, un espace innovant conçu pour porter les voix à travers des podcasts, des projets collaboratifs et des événements culturels. Un lieu de création et de rencontre, VOX AYITI STUDIO permet aux auteurs, artistes et acteurs culturels de dialoguer directement avec le public, de raconter leurs histoires, d’expérimenter de nouvelles formes d’expression.
« La littérature ne se limite pas aux pages d’un livre. La voix est un médium puissant, capable de traverser les frontières et de relier les communautés », explique Donel.
Ce qui distingue surtout Donel Saint-Juste, c’est sa conception archipélique de la littérature et du livre. Pour lui, il n’y a pas une capitale qui dicterait le goût mondial, mais une constellation d’îles, de territoires, de voix. Son ambition ? Fédérer des maisons d’édition en Afrique et dans la Caraïbe pour bâtir un réseau solidaire, capable de faire circuler les œuvres et les idées.
« La littérature est un archipel, pas une capitale », aime-t-il répéter, avec sourire aux lèvres. Une formule qui résume bien sa démarche : ne pas enfermer, mais relier.
L’éditeur du nouveau monde Dans son bureau parisien, les manuscrits s’empilent, les projets s’accumulent. Entre deux réunions, Donel trouve encore le temps d’échanger longuement avec ses auteurs, de lire attentivement, de voyager pour animer des rencontres en France, en Afrique ou en Haïti, et désormais de coordonner les activités de VOX AYITI STUDIO.
C’est ce mélange de rigueur et de disponibilité qui séduit tant ses collaborateurs.
À le voir parler littérature, on comprend vite que Donel Saint-Juste n’est pas simplement un éditeur. Il est un bâtisseur de mondes, un passeur entre les continents, un entrepreneur social tout court. Un homme qui croit que les livres et les voix peuvent changer notre manière de voir et de vivre ensemble.